L’architecture contemporaine avance sans savoir où elle va. La cause de cette errance est l’indigence philosophique qui rend notre époque sourde et aveugle à ses propres créations.
*
La philosophie instruit l’action à travers le jugement ; sans elle, l’action est insignifiante. La misère de l’architecture à notre époque est le symptôme d’une crise historique du jugement.
*
Qu’est-ce que le jugement ? C’est ce par quoi l’architecture agit sur l’homme : le chemin qu’elle emprunte pour passer de l’œuvre à l’individu. Il s’agit tantôt des sens corporels, tantôt de la raison, tantôt de l’émotion suscitée. Il ne nous appartient pas d’établir de hiérarchie parmi ces catégories du jugement. La perception est éminemment individuelle ; on aurait tort de la soumettre à des lois générales.
*
Cependant, nous avons constaté que le jugement sur l’architecture passe systématiquement par trois stades successifs (et parfois combinatoires) : esthétique, intellectuel et mystique. Ce faisant, il va du particulier à l’universel.
*
Les deux premiers stades – esthétique et intellectuel – sont profondément limités. Les avantages de l’un sont les limites de l’autre. Le troisième stade, que nous avons appelé « mystique » à défaut d’un qualificatif plus pertinent, est une tentative de synthèse dialectique.
I.
Le stade esthétique
Au premier stade du jugement, l’observateur éprouve une réaction instinctive d’admiration ou de répulsion à la vue d’un édifice. Devant une œuvre d’architecture, il s’écrie sans réfléchir : « que c’est beau ! » ou « que c’est laid ! ». Ce jugement est immédiat, spontané, irréfléchi ; il demeure à un niveau superficiel de l’appréciation car il ne pénètre pas la surface de l’œuvre. Quiconque est doté d’une paire d’yeux en état de marche apprécie esthétiquement l’architecture qui l’entoure. Aucun prérequis n’est nécessaire. Nous avons tous une capacité de jugement esthétique qui nous vient d’une certaine éducation au bon goût, de notre propension paréidolique à discerner des formes familières, comme un corps humain ou un visage, dans les surfaces inertes, de l’instinct primitif qui nous pousse à aimer la nature, et enfin du caractère de vitalité ou de corruption de l’objet observé.
Le stade esthétique de l’observation est inconscient mais il produit dans la population générale des jugements de même nature car nous sommes tous – du fait de notre humaine condition – portés à juger positivement les types d’architecture qui s’intègrent à la nature ou qui reflètent un ordre physio-logique. Dans ses prolégomènes à une psychologie de l’architecture, Heinrich Wölfflin fait l’hypothèse que l’architecture produit un effet psychologique positif sur l’observateur si elle exprime les principes qui autorisent sa propre existence biologique (symétrie des membres, position statique permise par une assise ample, points focaux correspondant aux visages, etc). Lorsque l’œil humain détecte la présence de ces principes dans la composition d’une façade, par exemple, naît instantanément une familiarité entre l’architecture et l’observateur qui vient de ce qu’ils partagent un même sentiment vital (1).
Cours d'Architecture, Jacques-François Blondel, XVIIIè s.
D’autre part, le vieux fond platonicien qui tapisse la conscience de l’homme occidental l’incite à voir le Bien dans les objets du Beau. Dans notre esprit, les transcendantaux – le Beau, le Bien et le Vrai – ont partie liée. C’est pourquoi, au premier stade du jugement, ce qui est beau semble également être ce qui est bon. Il suffit de songer à l’Alhambra de Grenade, aux passages parisiens ou aux béguinages flamands : ces lieux conçus d’après les lois d’une délicieuse harmonie font tomber sans délai toutes nos inquiétudes. De fait, notre préférence se pose là où l’œil a reconnu un principe de vitalité, de la même manière que l’abeille est séduite par les fleurs aux couleurs criardes, fussent-elles vénéneuses. Par contre, si l’œil est rebuté par une muraille de béton n’offrant aucune prise, battue par les vents, au détour d’une esplanade découverte comme un champ de tir, il est fort probable qu’il se laissera gagner par l’angoisse. Il aurait tort de se fier aux apparences car le plus sinistre édifice peut s’avérer être un endroit convivial ; c’est le cas, par exemple, du Barbican à Londres qui en dépit de ses allures de blockhaus n’en demeure pas moins un lieu festif. Mais le jugement des sens ne tient pas compte de ces nuances ; il constitue un réflexe, non une réflexion ; en tant que tel, il est instantané, irrépressible. C’est pourquoi il fait généralement l’économie du libre arbitre. Aussi spontané qu’une émotion, aussi fulgurant que l’éclair, il frappe sans qu’on l’ait appelé et rend son jugement longtemps avant que les lourdes courroies de la raison se soient mises en branle.
On peut parfaitement décider de s’en tenir au jugement des sens. On est alors un esthète. Et l’esthète est un individu qui choisit de se laisser gouverner par le despotisme du Beau. L’esthète laisse choir l’autonomie de son jugement : il s’interdit la liberté. Il préfère se rendre esclave des processus psycho-chimiques ou socialement construits du goût. Il fait alors allégeance au déterminisme des tripes.
Nous croyons que l’homme est appelé à une vocation plus haute que celle, animale, de réagir machinalement aux stimuli extérieurs. L’homme est un être pensant capable de jauger le monde sensible – et au premier chef les créations d’architecture – à l’aune de son intelligence. Il est non seulement capable d’aimer mais de savoir pourquoi il aime et, si son cœur l’y incite, de choisir ce qu’il aime. Il s’élève alors au stade intellectuel du jugement.
II.
Le stade intellectuel
Au stade intellectuel, l’observateur fait abstraction de l’apparence de l’œuvre pour en apprécier l’histoire et la signification. Il tire une gratification du fait qu’il comprend l’œuvre et qu’il est en mesure de l’interpréter historiquement et idéologiquement. En pénétrant dans une cathédrale, l’esthète tire son plaisir de l’émoi des sens – le frisson stendhalien devant la basilique Santa Croce à Florence – alors que l’observateur au stade intellectuel se plaît à déchiffrer le style, à en découvrir le sens. Il choisira ou non, selon ses propres affinités intellectuelles, de lui accorder son agrément. Sa décision sera rationnellement motivée.
Le plaisir de l’intellectuel est devenu abstrait. Il se repaît de dates, de noms, d’anecdotes, de comparaisons, d’apprentissages, de théorie. Il est susceptible de se passionner pour l’œuvre pauvre ou repoussante, comme une modeste chapelle romane ou une toile monstrueuse de Jérôme Bosch. Alors que le regard de l’esthète s’arrête à la surface de l’œuvre en se contentant de jouir de l’effet produit par elle, l’intellectuel préfère ce qui est invisible et qui se trouve sous la surface de l’œuvre : l’ancienneté, le sens historique, l’explication des motifs et la signification des formes.
Nous pensons que le stade intellectuel est supérieur au stade esthétique parce qu’il rétablit l’autonomie du jugement. Par là nous entendons que l’intellectuel choisit les critères philosophiques qui vont instruire son jugement : la fidélité aux Anciens ou au contraire la table rase, l’iconoclasme ou la piété mystique du Moyen-Âge, l’ardeur romantique ou la tranquillité des Grecs, le catholicisme ostentatoire de l’architecture baroque ou encore le machinisme moderne. Aussi arbitraires et insatisfaisants puissent être ses choix, l’intellectuel est le maître incontesté de son jugement. Par conséquent, il se libère de sa propre nature et s’élève dans l’ordre de l’esprit.
Il arrive fréquemment que les jugements de l’intellectuel contredisent ceux de l’esthète. L’individu est alors confronté à un dilemme qu’il tranche souvent en faveur de l’esprit. On peut constater par exemple que l’architecture de nombreuses villes européennes reconstruites après les bombardements de 1940-1945 (e.g. Le Havre, Royan, Hambourg, Ostende, etc), bien que souvent décevante et inférieure, de l’avis général, à ce qu’elle était avant les bombardements, bénéficie d’une prime sentimentale auprès du public. Cette prime s’explique aisément par le fait que les nécessités de la guerre transcendent les débats de style et que les villes reconstruites sont un symbole du redressement de la Nation humiliée. Le même raisonnement peut jouer en faveur de l’architecture des « cités » ou des barres de logements sociaux qui, en vertu même de leur vocation sociale, gagnent en sympathie et parviennent à faire oublier leur sinistre apparence.
Le Havre reconstruit par Auguste Perret entre 1945 et 1964
La plupart des bâtiments modernes opposent l’approbation de l’esprit à la réprobation des sens. Dès les années 1950, le brutalisme fait naître une architecture colossale, ostentatoire, défiant les règles élémentaires de la statique, exhibant le béton là où il était jusqu’alors caché. Les monuments brutalistes n’ont pas la réputation d’être beaux – ils n’en ont pas non plus l’intention. Leur fonction n’est pas de flatter les organes de la perception, mais bien, comme leur nom l’indique, de les brutaliser. Ce faisant, loin de se rendre haïssable, le brutalisme gagne les esprits de ceux qui, puristes, désirent débarrasser la tradition de ses dernières scories et faire apparaître, grâce aux moyens modernes, des formes illimitées naissant à la racine de l’imagination.
Hotel du Lac, Tunis, par Raffaele Contigiani, 1973
Contre la tendance de l’esthète à vouloir confondre le Bien et le Beau, l’intellectuel en vient presque systématiquement à prêcher le Bien contre le Beau. Il part du principe que l’œuvre belle n’est pas toujours l’œuvre bonne. Il quitte le terrain de l’art stricto sensu pour entrer dans le domaine de la morale. Or, la morale nous abreuve de fables et de proverbes qui nous rappellent que la beauté peut quelquefois dissimuler les pires vices. Peu à peu, dans l’esprit de l’intellectuel se forme l’intuition suivante : une œuvre qui ne serait que belle serait immorale.
La contradiction entre l’esthète et l’intellectuel tient au fait que nous sommes des êtres de chair et d’esprit. Les lois de la chair ne sont pas celles de l’esprit. La chair est limitée tandis que l’esprit, lui, ne connaît aucune limite ; c’est pourquoi nous sommes tentés de donner la préséance à l’esprit. Mais ce faisant, nous risquons de déchainer les forces qui, en nous, réclament la pureté, la perfection, l’absolu, si bien qu’une dictature de l’esprit pourrait saper les conditions d’existence de la vie humaine. C’est la trajectoire qu’a prise l’Occident depuis le 18ème siècle. Cela s’est traduit, en architecture, par une spiritualisation croissante de la matière – que l’on songe un instant aux expériences révolutionnaires de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux ou au minimalisme du mouvement moderne. Cette spiritualisation finit toujours par devenir une abolition de la matière – l’art contemporain nous montre, en dernière instance, son appétit pour l’esprit, qui est un appétit pour le vide.
Monochrome par Robert Ryman
III.
Le stade mystique
Nous avons vu les limites inhérentes aux jugements esthétique et intellectuel. Dans le premier cas, l’observateur est esclave de son propre plaisir et incapable de déterminer souverainement ses prédilections ; mais quand il cherche à rétablir son discernement, il en vient à céder aux injonctions totalitaires de l’esprit qui font dominer l’invisible sur le visible. L’esthète est superficiel ; l’intellectuel est inhumain.
Pour sortir de cette douloureuse alternative, songeons un instant à ce qu’étaient l’art et l’architecture de nos plus lointains ancêtres. Les pierres dressées de Carnac renferment des tombeaux dont la disposition générale évoque la course des astres dans le ciel. Ces alignements suggèrent que l’architecture de la nécropole primitive possède un caractère sacré ; il en va de même pour les ziggourats, pyramides et temples anciens. Quant à l’art pariétal, la préhistoire nous enseigne qu’il revêt une fonction rituelle : il fait office de point de passage entre les mondes sensible et invisible. Pour l’homme ancien, il n’y a guère de distance entre le sacré et le profane. Le monde est un cosmos où se promènent les dieux et les diverses créatures mythologiques ; la moindre rencontre est une apparition, le moindre événement est un signe, le moindre objet renferme d’infinies potentialités magiques. Le monde se présente à nos ancêtres comme un vaste enchevêtrement de mystères. Par le biais de l’art et du rituel (la distinction entre ces deux domaines doit être relativisée), ces derniers cherchent à modifier le cours de leur existence en s’attachant les faveurs (fécondité, paix, abondance, santé, etc) des puissances invisibles qu’ils imaginent être à l’instigation de leur destin. La pratique de l’art joue donc, pour nos ancêtres, un rôle eschatologique important qui se traduit par une propension à l’utilisation de symboles.
Il faut rappeler ici le totémisme de l’art ancien qui, par le truchement d’une colombe par exemple, parvient à nous faire voir le Saint-Esprit. Est-ce à dire que l’homme ancien croit que le Saint-Esprit soit un oiseau ? Certainement pas. Le sens propre, l’apparence, ne lui fournissent que peu d’indications ; en revanche, sa perception symbolique est hypertrophiée. À travers le symbole, il touche à une réalité indicible, inexprimable : la dimension céleste de l’existence. L’art ancien, symbolique, donne accès à une sphère du divin où le discours s’avère impuissant. Saint-Augustin dit que les symboles ont pour but de nourrir le feu de l’amour afin que l’homme s’élève vers ce qui réside au-dessus de lui et qu’il ne saurait atteindre de lui-même. Il n’est pas suffisant de comprendre les Écritures à la lettre ; le symbole nous aide à les comprendre corps et âme. Augustin dit aussi : « c’est d’abord par les sens du corps que l’esprit de l’homme connaît les choses et en acquiert la notion, dans la mesure de la faiblesse humaine ; ce n’est qu’ensuite qu’il en recherche les causes, s’il peut par quelque moyen arriver jusqu’à elles. Car elles demeurent principalement et d’une manière immuable dans le Verbe de Dieu. Voilà comment, par les choses créées, il arrive à comprendre et à voir ce qu’il y a d’invisible en Dieu » (2).
Selon Suger, l’abbé de Saint-Denis, « notre esprit borné ne peut saisir la vérité que par le moyen des représentations matérielles ». Sur la façade de son église abbatiale, il fait graver une inscription qui témoigne de la pensée symboliste du 12ème siècle : « Ce qui rayonne ici au-dedans, la porte dorée vous le présage : par la beauté sensible, l’âme alourdie s’élève à la véritable beauté, et de la terre où elle gisait engloutie, elle ressuscite au ciel en voyant la lumière de ces splendeurs. »
Nef de la Basilique de Saint-Denis, XIIè s.
Suger constate, comme nous venons de le faire, que l’art doit s’enraciner dans la réalité matérielle mais ne peut s’en contenter. D’où vient qu’il déçoive si souvent : ni complètement esprit, ni complètement matière, l’art est coincé entre deux mondes et voué à n’en satisfaire aucun (3). L’esthète se complaira à regarder les pâles reflets de beautés spirituelles inaccessibles – dans un sens platonicien, on pourrait dire qu’il s’abandonne à la contemplation d’insignifiants ballets d’ombres sur les parois d’une caverne. L’intellectuel, quant à lui, sommera les biens visibles d’être parfaitement conformes aux choses de l’esprit, ce dont ils sont évidemment incapables.
La Renaissance a cherché à porter la matière à un état de perfection en réalisant le plus haut degré de ressemblance entre l’art et la Nature ; mais la Nature étant elle-même imparfaite, cette tâche était vouée à l’échec. Quant à l’architecture contemporaine, elle s’est donnée pour mission de soumettre la matière à la dictature de l’Idée, ce qui semble produire un double phénomène : d’une part, l’apparition de systèmes intellectuellement clos auxquels correspond une architecture totalitaire (phalanstères, machines à habiter, villes nouvelles, smart cities, kommounalki soviétiques, etc) et, d’autre part, l’anéantissement quantitatif de l’architecture par en bas (minimalisme, purisme, déconstructivisme) et par en haut (production en série).
Pour voir émerger une architecture féconde, il est nécessaire que nous abandonnions certains préceptes qui altèrent notre jugement sur l’art. Notre conception de l’art est à présent éloignée des nécessités qui l’ont fait naître. Alors que l’art est initialement un médium entre les mondes spirituel et charnel qui anticipe et transforme le destin des hommes, nous l’avons rangé dans la catégorie des activités superflues. Nous en avons, du même coup, perdu le besoin et le sens. Cette méconnaissance des buts de l’art nous amène à commettre deux erreurs opposées : 1) la pratique purement formelle d’un art devenu futile, 2) l’idéalisation d’un art dont nous ignorons, désormais, les propriétés et les limites.
Cette ignorance des propriétés et des limites de l’art nous conduit à négliger le langage symbolique dans lequel il s’exprimait jusqu’à une période récente. Le symbole était une forme accomplie d’expression permettant de communiquer les plus hautes exigences spirituelles dans une langue comprise par chacun. Les symboles qui ornent les tympans d’églises romanes sont d’interminables chemins de connaissance. Gérard de Champeaux (4) a raison de souligner que le Christ en gloire de la cathédrale d’Autun (12è siècle), quoiqu’infiniment moins réaliste, produit plus d’effet que ce qu’il nomme « la plus tragique des œuvres chrétiennes » : la fresque du Jugement dernier de Michel-Ange (16ème siècle). Celle-ci, bien qu’artistiquement plus maîtrisée, n’en dégage pas moins une désagréable impression de réalisme et de chair molle qui ne rend pas honneur au Christ « éblouissant comme le soleil quand il brille de tout son éclat » (Apocalypse 1.16).
Tympan de la cathédrale d’Autun, XIIè s.
Fresque du Jugement Dernier par Michel-Ange, XVIè s.
Le regard symbolique hisse l’observateur au rang d’exégète et lui donne accès à la substance de la vie mystique. Mircea Eliade dit qu’il est une hiérophanie car il révèle une réalité sacrée ou cosmologique qu’aucune autre manifestation n’est à même de révéler. « Quand l’homme vit dans un univers relié à Dieu, écrit Marie-Madeleine Davy, comme au XIIème siècle, tout est pour lui virtuellement sacré ».
Pris dans son sens le plus particulier, un symbole peut faire référence à un événement précis de l’histoire, mais dont la portée transcende l’histoire. « Le symbole se place au-delà de l’histoire, parce qu’il est le lot de l’homme délié de sa situation historique » (5). Au plus haut degré, il exprimera toujours une réalité sacrale universelle. C’est pourquoi le symbole ne parle ni à nos sens, ni à notre intellect : il s’adresse, sous forme d’images, au cœur de l’homme. En examinant la voûte d’une église, l’esthète s’ébahira, l’intellectuel s’intéressera aux sculptures des chapiteaux et au sens des peintures qui en recouvrent les parois, tandis que l’observateur qui aura disposé son âme au mystère y reconnaîtra la voûte céleste. Il y verra reflétée la géométrie du monde en laquelle Dieu a exposé son principe – du moins c’est ce qu’y apercevaient nos ancêtres – et la voûte sera pour lui l’arche d’alliance, l’arc dans la nuée que Dieu a mis entre lui et tous les êtres vivants. Quand son regard retombera sur la nef et que les lignes courbes auront cédé la place aux lignes droites, il songera aux quatre fleuves qui partent du Paradis terrestre en direction des quatre points cardinaux, premier quaternaire de l’expansion créatrice, surgissement initial de la croix qui fit passer la Création du cercle au carré, de la perfection à l’imperfection. Si son œil est retenu par la lumière d’une rosace, il y discernera peut-être sept branches symbolisant chacune une vertu, ou bien la trinité représentée la plus simple des feuilles : le trèfle. Par le truchement de l’art symbolique et grâce à une imagination capable d’enrichir, çà et là, le pouvoir d’une image, notre observateur parviendra à s’élever jusqu’aux sommets de l’entendement. Il saisira alors le vrai sens de l’art : nous faire voir ce dont les sens nous privent et que la raison ignore.
(1) Lebensgefühl, Johannes Volkelt
(2) De Genesi ad litteram, ch. 32
(3) À la notable exception de la musique qui, immatérielle et pourrait-on dire parfaite, semble être une langue étrangère chargée d’espérance.
(4) Introduction au monde des symboles, par Gérard de Champeaux et Sébastien Sterckx, Éd. Zodiaque, 1966
(5) Marie-Madeleine Davy, Initiation à la symbolique romane, Flammarion, 1977
Comments